22.12.02

Éric est arrivé vers six heures. Je dormais. Faisait noir. «S'cuse, je voulais pas te réveiller.» Moi: «Tu te fous de ma gueule? Il est six heures!» Je croyais dur comme fer qu'il était six heures du matin, mais ce n'était pas le cas.



Il a fait la planche sur le sofa et s'est mis à expier ses abus de Kahlua et de Southern Comfort. On a dormi dix-huit heures.



Demain, dès l'aube, il appellera l'agence et tentera d'obtenir un ou deux jours de travail pour nous offrir une tourtière et de la bière à Noël.

21.12.02

Je mets le journal de côté et j'allume la tévé. Au canal Vie, une espèce d'épais de psycho-socio-baby-boomer barbu Québécois pontifie sur le sens de, ben oui, la Vie. C'est une émission qui traite des méfaits de la consommation et des façons d'en détourner ses enfants. «Le but de l'être humain», qu'il dit, ce marchand d'huile de serpent, «c'est de ne plus rien désirer, d'être content comme il est, de ne plus ressentir le besoin ou l'envie de se gratifier.» Il a dit ça, ce tata cravaté, je l'ai ouï, je l'ai VU, ce petit-fils d'un fermier aussi brave qu'illettré, héritier d'une époque rendue prospère par la guerre des autres, "instruit" tout en faisant tranquillement la révolution entre deux joints et le dilemme abominable tenaillant la jeunesse masculine canadienne-française de ce temps-là (aussi connu sous le sobriquet C'est le début d'un temps nouveau), soit décider entre devenir servant civil et prof de Cégep, je l'ai ouï je l'ai vu énoncer ces âneries criminelles, enfilées comme un collier de pommes de routes fumantes, sans paraître douter de son dogme stupide. Car enfin, lâché lousse dans les bois, ce con-là meurt de faim en vingt heures! Or, le voici bien imbu, conchiant sans vergogne aucune cela même qui incita ses ancêtres à sortir des cavernes, à planter du blé, à forger et convenir d'un langage, à occuper tous les territoires et à fonder, enfin, des universités. De belles grandes universités toutes neuves et très chères et richement dotées, où serait conservé le savoir conquis de haute lutte jusque là et où l'on pourrait poursuivre ce propre de notre espèce, la recherche, en d'idéales conditions et en sécurité. L'aboutissement de milliers d'années d'oeuvre civilisatrice. À quoi, on aboutit? Au Baby Boom. Une informe multitude, manipulée, un ramassis de crottés en toc et d'enfants gâtés, de têtes à claques et de faux-culs taillant des pipes à la nature, pissous présents papes futurs, et au sommet de cette pyramide en caca qu'on qualifie de chocolat, qui trouve-t-on? OUI! Notre psy! Ce cave décérébré aux opinions commodément rectangles. Imaginer le parchemin qu'on lui a décerné, frappé au sceau flambant de l'Université toute neuve, c'est déjà se frotter à l'épreuve. On a du mal à ne pas fondre, en larmes chaudes ou bien de honte. Mais songer aux pauvres ancêtres de cet avorton-là, qui ne seraient pas tenus de se retourner dans leurs tombes comme de damnées girouettes s'ils n'avaient inventé la coutume d'inhumer leurs morts et de poser une grosse pierre dessus qui découragerait les hyènes et les busards et les jeunes journalistes. «À quoi ça aura-t-il servi», assurément ils se demandent tout en tournant, les ancêtres, «à quoi, dis-moi? Pas à produire c'te d'mi-portion, dis, Albert? Me dis pas qu'on s'est crevé durant cinquante générations pour que cet abruti sectaire et franchement imbécile couronne la somme de tous nos sacrifices, multipliée par nos témérités, divisée par nos morts inestimables? C'est pas vrai, Albert, dis? Pas ce taré de psy qui croit connaître le but de la vie humaine? PAS CE GROS CON, DIS, ALBERT?»



Albert, keske vous voulez qu'il dise, il dit: «Oui, Fernande». L'est déjà mort, l'a rien à perdre, ça coûte rien d'essayer de faire semblant d'être d'accord avec tout ce qu'elle gueule, maintenant. D'ailleurs, il est plutôt de son avis: ce rejeton, cette fin de race barbue, ce connard de boomer est un étron en costume. Sauf qu'Albert y voit clair, faut pas croire: ce petit pédé prétentieux de psy tient de sa mère, ça crève les yeux!



Pour ma part, et tout à fait objectivement, je vous jure, l'avoir eu devant moi en chair et en gélatine, on aurait vu des jointures se gratifier sur sa sale gueule de bouc ignare.
Il y a un type au Nord-Vietnam, du nom de Nguyen Khac Toan: il vient de se faire coller douze ans de taule dure par son gouvernement pour avoir diffusé des plaintes politiques sur le Net. Pour autant que je puisse en juger, il n'écrivait pas la moitié de ce que je me permets quotidiennement sans y penser. Et il m'arrive de me trouver courageux! J'ai honte, Saigneur, j'ai le goût de me taire, de me mordre la langue au sang sitôt que j'aurai terminé de me ronger les doigts. Douze ans! Et bien sûr, se taire est exclu, il faut bien au contraire parler plus, à mesure qu'on y croit moins, jusqu'au final mirage du prêcheur au désert qu'on découvre blanchi sur un erg, la langue exbouchée pustuleuse épaisse comme un battant de cloche. Pauvre cloche.



Cependant, un rapide survol de la presse d'aujourd'hui (oui, La grosse Presse juteuse et plate du samedi) fournit à quiconque s'en donne la peine ample matière à dégueuler.



Ainsi, une charogne puante et pétillante, pigiste de son état, frais émoulu de l'U de M où il signait de prudentes et laborieuses colonnes dans le journal étudiant, ce sinistre cireur de bottines, donc, inconscient des cinq raisons (jeune, arrogant, soumis, bourgeois déjà, candide, pressé de plaire et pas cher: je sais, ça fait sept, mais certaines se recoupent) qui lui valent cette tribune dont il s'enorgueillit pourtant, fier d'exhiber à ses parents sa griffe insignifiante dans le quotidien de la rue Saint-Jacques, ce cancrelat qui se vend pour peu et qui ne vaut rien commet aujourd'hui un article indigné sur l'accès au téléphone en prison. À quatre jours de Noël, cette saleté de journaleux fascisant s'avise qu'on devrait retirer aux détenus provinciaux le scandaleux privilège de rejoindre leurs proches à frais virés. Dans un papier manifestement télégraphié par des screws qui se foutent de sa gueule, le béat dactylollipop s'efforce de nous énerver le poil des jambes avec des perles sucrées style: D'un simple coup de fil donné de l'intérieur d'un établissement de détention où ils séjournent, les détenus sous l'autorité des Services correctionnels du Québec peuvent en toute quiétude commander, planifier et orchestrer n'importe quelle activité criminelle.



Les caractères gras ne sont pas de moi, ni la grossière indécence qui sous-tend ce brûlot sous couvert d'intérêt public. Le fait est que les gars en prison sont chanceux si quelqu'un dehors accepte encore les frais de leur appel à l'aide, la plupart n'ont personne, leur femme les dompe et leur mère capote et leurs chums s'évaporent à l'air libre et on a trois téléphones pour cent-cinquante hommes et on n'a pas le temps "d'orchestrer n'importe quelle activité criminelle", maudit twit, le premier qui outrepasse son temps de téléphone pendant que les gars font la queue en attendant leur tour se ramasse une baguette de pool en arrière de la tête. Ça, c'est pour une première offense. Je n'en ai jamais vu de deuxième. Et tu veux priver ces gars-là de téléphone dix minutes par jour? Et tu crois les screws qui t'ont dit que ce serait une bonne chose? Imagines-tu que ça les intéresse, les services correctionnels, de gérer des émeutes hebdomadaires et de revenir trente ans en arrière à la grande époque des sanglants bingos? Maudit niaiseux. Maudit scribouillard cheap de plumassier, en plus t'écris comme une envie de chier. Et tu feras une longue carrière, nul n'en doute, tu es de la graine de Michel Auger, tu traques la vérité au mépris du danger...



Remarque, tu es sûrement vexé maintenant mais ça va vite passer, ou peut-être pas, en tous cas je ne mentionne pas ton nom et c'est un peu pour te donner une leçon d'élégance: ta mère ne t'a jamais enseigné qu'on ne frappe pas un mec à terre?
Dix jours avant l'échéance, après quoi j'ai un livre à livrer à VLB.



Chaque année qui passe, ça empironne au lieu d'emmieuter: j'ai gardé mes (mauvaises) habitudes d'étudiant en ce qui a trait au travail, mais je ne suis plus un étudiant, depuis longtemps, et je n'ai plus seize ans, l'aveugle élan de la jeunesse n'est pas une grâce inamissible, et la méthode du bulldozer ne marche plus (on repousse, on repousse, on compacte le boulot jusqu'à ce que ça passe ou que ça casse, la proverbiale et paradoxale rencontre d'une force irrésistible avec un objet immobile se produit, something's got to give et soudain le conflit se résout néanmoins, sauf que de moins en moins en ma faveur, à me faire regretter les dents longues de ma vingtaine rugissante, ma cécité, ma surdité à tout ce qui n'était pas mon désir furibond d'arriver!).



Dix jours avant l'échéance, après quoi j'ai un livre à livrer. Je me demande si grand-père parierait sur moi.

20.12.02

Les courriels de Noël commencent d'arriver. Un peu tôt, dira-t-on, mais il s'agit probablement d'une survivance de l'ancien réflexe, quand il fallait poster ses cartes de voeux le vingt au plus tard, sous peine de rater le coche (du postillon).



L'initial vient de ce précieux, ancien (mais pas vieux!) ami, Jean-Paul Daoust. Chaque année que le Christ renaissant ramène, où que je me ramasse, les souhaits festifs de JP sont toujours les premiers à me trouver et à me faire un petit velours.



Du même souffle, il m'annonce la publication d'un mien texte dans le numéro d'Estuaire de février, et qu'il quitte la direction de la revue. «T'expliquerai ça plus tard», ajoute-t-il, et cela me suffit, et si même il n'en trouvait jamais le temps où l'inclination, je ne m'en formaliserais aucunement, ce qui est bien peu dans ma nature. C'est qu'à une époque, Jean-Paul Daoust fut l'un des rares à ne pas réviser sa conception de moi selon ce que publiaient les gazettes, et cela, je ne saurais l'oublier. En fait, j'ai coutume de dire que si plus de straights étaient des hommes de sa trempe, on serait moins encombré de moumounes ici-bas. C'est beaucoup à son contact que j'ai compris, jeune homme, la différence entre un homosexuel et un fif. À son contact et à celui, contrasté, de tous les fifs, les lâches, les moumounes, les guenilles invertébrées que j'ai connus et qui ne couchaient pourtant qu'avec des filles.



Une fois, il y a longtemps, le chum de Jean-Paul m'a un peu cassé la gueule. Pour autant que je m'en souvienne, je l'avais amplement cherché. Joyeux Noël à toi aussi, preux chevalier.
Trent Lott, leader Républicain de la majorité au Sénat états-unien, après avoir louangé le programme politique pro-lynchage du centenaire Strom Thurmond (mis de l'avant lors des présidentielles de 1948), s'est excusé à cinq reprises en autant de jours, chaque fois de façon plus abjecte, chaque jour se tordant un peu plus les poignets et déchirant son manteau davantage (quand on profère de telles énormités anachroniques, de celles qui coûtent une carrière, ne vaut-il pas mieux au moins y croire assez pour n'en pas demander pardon?), ce qui ne l'a pas empêché de se faire virer comme une ordure, et j'y veux voir le présage de la fin de ces affligeants, hypocrites et larmoyants actes de contrition publics que les Puritains affectionnent presque autant que les marxistes-léninistes et qui remontent des boues australes comme une infection aérosol vers nos latitudes.



It's the virility, stupid! Le leader de la majorité avait des couilles en beurre manié, le prochain sera plus doux encore, plus avenant, plus diplomate, et l'Irak va se ramasser une méchante purée de poudre et d'acier dans la gueule et j'enrage d'être complice de ce carnage.
Éric accepté à l'école de botanique. Parcourt la ville depuis trois jours en une campagne effrénée de levée de fonds pour acquitter les droits d'admission aujourd'hui. Pas pu faire grand chose pour lui.



Visite nocturne de Larry Lorca, après son quart de dynamitage dans le tunnel du futur métro de Laval. Avons discuté entre trentenaires introspectifs jusqu'à l'aube.



Trouvé le moyen de payer le loyer à vingt-quatre heures du deadline. La Régie, ce sera pour la prochaine fois!

19.12.02

Je n'aime pas trop allumer la tévé pour m'y faire tutoyer par Justin Trudeau. Je suis assez vieux pour me rappeler sa naissance, et certainement trop pour m'enrôler dans Katimavik (visiter le Canada? Retourner aux études? Trouver un emploi?).



Je suis pour l'avortement. L'avortement de la réalité. Comme dans les scènes oniriques des pièces de Billy Shakespeare.
Beaucoup d'émoi à Québec depuis le démantèlement d'un réseau de prostitution juvénile (des petites fougueuses, selon le lapsus de l'Alexandre Dumas de Radio-Canada, de 15 à 17 ans). L'un des accusés est animateur de radio et on n'a jamais tant entendu parler de présomption d'innocence sur les ondes d'État. J'ai compris depuis longtemps qu'on est présumé innocent jusqu'à ce qu'on passe à la tévé. Hier, les flics parlaient d'actes «qui dépassent toute imagination» (la leur) et de «preuve en béton». Résultat, les commanditaires, de bons bourgeois qui ne songeraient jamais à défier sexuellement leur propre imagination, désertent en masse l'émission de l'accusé. Ameublements Tanguay ne mange pas de ce pain-là!
Évidemment, Kevin ne supporte pas la période de Noël.



Quand on est coupé de la femme qu'on aime, les pubs télévisées de supermarchés santaclausiques ont tendance à porter sur les nerfs. S'il n'en tenait qu'à lui (s'il en avait les moyens financiers et physiques), vous le verriez se transformer en Rip Van Winkle d'ici au début de janvier.
Reçu de Hans une invitation à célébrer la Saint-Sylvestre, Kevin et moi, chez son ex-femme, la mère de ses enfants, anyway tout cela est fort moult compliqué, mais j'ai dit oui évidemment, on y sera comme un seul homme, comme l'an dernier et l'an prochain, et je parie que Marlène viendra malgré ses protestations du contraire, en tous cas je connais un fauve qui n'aurait rien contre.

18.12.02

Suis monté rembourser 10$ à Steve. Grand-père prétendait toujours qu'on est riche quand on ne doit rien, mais ça m'a constamment semblé une doctrine plus aisée à appliquer quand on en a les moyens.
Encaissé un chèque de la SODRAC au montant de 82,38$. Espère que Luce Dufault n'a pas trop de mal à payer son loyer.
Larry King à Donald Rumsfeld: «À propos de ce bouclier anti-missiles prohibitif dont tout le monde dit qu'il ne fonctionne pas: croyez-vous qu'il soit logique d'espérer la fin d'une guerre contre le terrorisme dans un avenir prévisible alors qu'il naît probablement un terroriste en cet instant même?»



Rumsfeld: «Écoutez, on construit des postes de police et des stations de pompiers; est-ce dans l'espoir réaliste de vaincre le crime et de triompher du feu?»



Ce salaud-là souriait. Avant, il dirigeait une compagnie pharmaceutique. «Hey, there's always a high percentage of failure at first!»



Quand mon fils est né, j'ai souhaité que le monde ne l'envoie pas se faire tuer lorsqu'il aurait vingt ans. Maintenant qu'il a vingt ans et que le monde n'a plus besoin de lui pour se faire tuer, je ne songe qu'à protéger Junior de son Grand Frère.



matou.gif

Kevin a déboulé vers minuit, noir comme une pelle à feu, cherchant sommeil et réparation qui tous deux se sont obstinés à le fuir. À l'aube, le vilain matou de gouttière s'en est allé comme une panthère en quête de népenthès.

17.12.02

Monsieur mon fils s'est finalement manifesté, après que j'aie réclamé sa présence lors du 91e anniversaire de son arrière-grand-mère. «Merci du message, Père.»



Parfois on fait une fin, parfois on fait un début.



Tandis que Blackburn remplissait le formulaire d'achat, je me suis penché vers lui et j'ai marmonné: «Autrement?»



Sous-entendu: «Comment ça va?» Sauf qu'il a compris: «Et ton roman?»



«Je l'ai crissé aux vidanges!» a-t-il répondu en s'esclaffant à la question que je n'avais pas posée. Ce livre, il y travaillait depuis des années. Je ne savais que dire, j'étais triste et il riait, jaune. J'ai dit: «Si tu fais vite, peut-être que les vidangeurs ne sont pas encore passés...»



Il a cessé net de rigoler. «Ça fait longtemps qu'ils sont passés», a-t-il dit, rembruni, avant de changer de sujet en demandant des nouvelles de Kevin. A bien fallu que je lui dise qu'il lâchait ses études pour se mettre au roman...



Les administrateurs du building ont pris l'injonction de Hans de me foutre la paix au pied de la lettre et le pauvre homme doit maintenant recevoir les appels du concierge qui réclame son loyer.



C'est à la bibliothèque, dans ce silence synthétique consensuel, que je réalise à quel point je tousse, et combien sec, et combien creux.



Suis descendu chez XYZ pour téléphoner tranquille à Fido, où un préposé à la clientèle m'a assuré que selon son ordinateur, mon cellulaire fonctionnait à merveille.



Passé voir Blackburn, liquider quelques bouquins. M'offrait vingt-deux. J'en voulais vingt-quatre et on s'est entendu sur vingt-trois. «Tout ce qui excède vingt, ai-je expliqué, c'est ce que je mange!»



Il riait encore quand je suis sorti.

16.12.02

Annie dresse des listes comminatoires de choses à faire, me diffame à tour de bras et me cocufie avec ses amants imaginaires.



Ma liste à moi, celle qui gouverne ma semaine, se lit comme suit:



-Amende (payer 50$ au gouvernement);

-AT&T 27(appeler ces chiens corporatifs qui me facturent un téléphone inactif);

-SOCAN (vérifier les comptes: le débit gonfle comme le groin d'une truie en rut);

-Pièce CAT (récupérer manuscrit prêté à Catherine);

-F&F (Fange & Furie: K le photocopie et je l'achemine à Laverdure);

-Pile (en acheter une, AA, pour l'horloge murale qui retarde);

-Mémoire (de Maîtrise: redemander à Kevin de me le dégoter);

-Show (prendre une douche);

-SODRAC (Where the fucking shit is my check?!);

-Humeurs (intégrer ce texte à la trame d'Origines?);

-Biblio (renouveler emprunt de bouquin d'ici le 19);

-Inukshuk (intégrer notion à Origines: «Pour montrer que nous sommes passés ici!»)



Si ce qui précède était un film recensé par TV Hebdo, on pourrait lire ensuite: Étude de caractères intéressante et amusante. Ton de douce cruauté. Certains passages très réussis. Interprétation un peu forcée.











Peu de gens savent que mon grand-père paternel est un joueur de haute volée, ce que la mafia appelle méchamment un degenerate gambler et que j'appelle illusoirement un descendant des princes de steamboats remontant le Mississippi.



Grand-père sera fort fâché de la fermeture annoncée de trois hippodromes québécois sur quatre.



L'avantage d'une rage de dents perpétuelle, c'est qu'un sac de biscuits aux brisures de chocolat dure sacrément plus longtemps.

15.12.02

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Les producteurs ne renouvelleront pas l'option sur Vago. Suis dans la mouise jusqu'aux narines.



Vendredi, Mario puis Justine ont débarqué les bras chargés, comme le père Noël et sa gonzesse qui seraient divorcés.



Mario a livré l'étiquette de bagosse. Juste à temps: il restait deux bouteilles de lie.

13.12.02

Eu connaissance de l'existence d'un mémoire de 122 pages récemment déposé à l'Université de Montréal par Maude Laparé: L'inscription du littéraire dans Vamp de Christian Mistral et La Rage de Louis Hamelin. Chargé Kevin de mettre la main dessus. Apprendrai peut-être quelque chose.

12.12.02

Le silence de mon enfant me tourmente, cela ne va pas nécessairement sans dire. Des tas de choses ne vont pas sans dire, quand on y pense; surtout les nécessités. Donc, le silence de ce petit salaud me blesse et je n'ai pas le caractère qu'il faudrait pour le dissimuler. Pas la force de faire semblant que je m'en fous, ce qui l'inciterait à changer de tactique au cas où. Il me manque et tant pis si ça lui fait plaisir.



Cela dit, m'est avis qu'il requiert un respect à sens unique que je suis bien incapable de lui donner. Je n'ai jamais donné de respect à personne. Petit, ma mère exigeait le respect et je refusais de le lui accorder, comme ça, à l'oeil. A fallu qu'elle le gagne, et aujourd'hui je serais bien en peine de nommer quelqu'un ici-bas que je respecte plus que ma mère. Alors, hein, moi qui ne pouvais même pas respecter ma propre mère gratis, je le ferais pour mon fils?



Au jeune poète qui m'écrit: Nous marchons ensemble quelque part le long d'un caniveau, avec des ailes qui nous font faire des bonds d'extase: Si nous marchons ensemble le long d'un caniveau (dedans, c'est toujours le long de), il ne saurait s'agir du même. Ainsi, je porte l'ancien anneau d'un citoyen romain, le même que ce citoyen portait, pourtant ce n'était pas l'ancien anneau d'un citoyen romain pour ce citoyen romain, c'était juste son anneau. Les caniveaux, c'est pareil. Quand on en part pour s'élancer, c'est un caniveau. Quand on y retombe après avoir léché les étoiles, c'est un autre caniveau. Même si c'est le même caniveau.

11.12.02

Yeux pleins d'eau et d'émotions démodées.



Demain, Kevin doit passer ses deux derniers examens, en plus de remettre une lettre au prof qu'il apprécie le plus dans laquelle il expliquera pourquoi il échoue à livrer la marchandise échue, et tout son subit affaissement me porte à croire que l'ancien gardien de but bantam s'apprête à donner son 50%. Certes, c'est toujours 50% de plus que ce que j'ai fourni moi-même à l'époque où j'ai décidé de tout laisser tomber, mais ça demeure moitié moins que ce que j'attends de lui.



De quel droit attends-je cela? Fuck! Du droit de celui qui aime. Du droit du raté sage. Du droit de celui à qui on n'a rien dit garçon et qui n'écoutait rien de toute façon. Du droit du mentor à qui on a menti autrefois et qui veut rompre le cycle et réparer.



Le soulagement! Le grand flatulent OUF!Je le connais intimement, cet allégement de l'être entier, quand on a décidé de larguer ses devoirs sans ameuter les populations... Mais le regret aussi, je le connais, ce germe d'incertitude attaché à la facilité, qui croît en un long doute rongeur visqueux, qui mine les fondations mêmes de la décision et des réussites ultérieures, le ferment du syndrome de l'imposteur!



D'une part, mon fils imite mes plus irritants exemples: partir, durcir, férir (les murs); le kid se fait une idée du métier d'homme loin de moi, il se guide sur des impressions romantiques et des souvenirs désincarnés.



D'autre part, Kevin constate tout de ma misère de visu, misère émotive, intellectuelle et financière, allant jusqu'à la partager de bon coeur, or qu'a-t-il trouvé à retenir des cent matins où je me suis levé pour lui percoler un café avant de rectifier sa cravate et le regarder partir pour l'école? Cet abruti sanguin de Madelinot du christ n'a rien trouvé de mieux à retenir que le goût de faire pareil et d'embrasser la misère romanesque.



Enfin, demain, il fera néanmoins de son mieux, parce que je le lui ai demandé et qu'il l'exigera donc de lui-même une dernière fois. Cinquante pour cent de son mieux, c'est encore assez pour obtenir la note de passage. Mais je songe à ces légions de doués qui décrochent chaque année, épuisés de solitude, écoeurés de ramer dans un carré de sable: la plupart ne prennent pas cette sérieuse tangente (cf. Petit Robert: Fig. Prendre la tangente, s'échapper par la tangente, se tirer d'affaire adroitement en éludant la difficulté par un faux-fuyant) entre deux sessions, dans la sérénité. La plupart plongent à deux semaines des examens finaux, écrasés par une réalité soudaine dont ils ne soupçonnaient ni le poids ni la sournoiserie. C'est une tragédie sans cesse renouvelée qui n'est pas reflétée dans les chiffres des ministères. Et merde!



Et merde...



Bon, eh bien, c'est comme ça, il veut être écrivain, qu'il le soit, mais alors qu'il soit bon, qu'il devienne le meilleur en second (pour le premier la place est prise), et qu'il ait la chance quand sa foi faiblira de trouver quelqu'un sur son chemin qui lui sera ce qu'il est pour moi.



Mon doux cousin est passé m'embrasser et glisser quarante dols dans mon poing.



Le monde est laid, mais tant qu'il reste du beau monde... Le monde est mauvais, mais tant qu'il reste du bon monde... Le monde est...



Ouais, bon, vous comprenez ce que je veux dire.
Hans m'informe que ma crise du logement est terminée. «C'est fou ce que les lettres Me devant un nom peuvent faire comme effet!»

10.12.02

Le destin de ma poésie est décidément de finir aux poubelles. Les Muses m'adressent de grands signes. Aujourd'hui, j'ai écrit à Vanasse, lui annonçant que je passerais reprendre le manuscrit de Fange et Furie pour le remettre à Bertrand Laverdure. Or, André, n'ayant pas de mes nouvelles depuis des semaines, venait juste de le confier à la récupération...



À quatorze ans, j'ai pédalé jusqu'au rang 30 pour remettre à Marie-Claude ma première plaquette imprimée à compte d'auteur, qui lui était dédiée. Luc, son frère, m'a avoué plus tard qu'elle l'avait brûlée dans la grange sitôt après mon départ.



Au moins, c'était sans la lire.
Rêve cochon dans un bureau. Décoinçage de petites secrétaires. Un bureau? Y ai travaillé deux semaines en 1983, à aiguiser des crayons, mais enfin, c'est étrange.
Flotte encore sur ma conversation avec Hélène. Me sens comme une jeunesse. Excité, terrifié, l'appétit renouvelé.



On a dormi au Bunker. K s'étonne de n'être pas plus abîmé par son absorption. La bagosse, boisson miraculeuse?

9.12.02

Travaillé tant soit peu à Origines, puis suis monté aux Catacombes à la rescousse de Kevin: l'animal se tuait à boire la bagosse tout seul.



Donné un coup de plonge dans la cuisine d'Augias. Mon pote en était à utiliser la porcelaine de sa grand-mère. Et tout en torchant j'ai compris pourquoi Léo, dans le temps, faisait de même pour moi: il voyait que la vaisselle sale était sur le point de me subjuguer, et il m'aimait.



C'est là qu'Hélène m'a rejoint sur mon vieux cellulaire pour me dire qu'elle venait de terminer la lecture du Journal en entier. Deux semaines qu'elle cherchait à entrer en contact avec moi, pas foutue d'utiliser le courrier électronique, moi qui commençais à croire qu'elle cherchait les mots qui me feraient le moins de peine, mais non, j'avais tout faux, elle adore, c'est son mot, j'adore, sacrée bonne femme de jugement sûr, et voilà, d'ici peu de grands changements sont susceptibles de survenir pour ma pomme!
Premier matin sans surcroît d'angoisse depuis deux semaines. Comme si j'avais oublié mes bagages dans mon sommeil. Envie de paraphraser Laetizia Bonaparte: «Pourvou qué ça doure!»

8.12.02

Hans sort à l'instant. Va s'occuper des administrateurs du building pour moi. Semble apprécier la bagosse de Kevin. Vais lui envoyer la recette.



«Comment te remercier?» ai-je demandé, gêné, et lui, laconique:«Écris!»
Mon coeur est un pain de plastic dissimulé sous un gibus calamistré.

7.12.02

Mon coeur est un chien roux qui ronge une mâchoire de mouton à l'ombre des palétuviers.

6.12.02

Petit courriel de Justine:



Christian, j'ai une demande spéciale. J'aimerais une page de ton journal qui ne soit dédiée qu'à l'amour. Rien d'autre que l'amour. Celui que tu n'as pas, celui qu'on t'a donné, qu'on veut t'enlever, que tu as oublié, que tu caches, dont tu rêves... Pour toutes les femmes qui te lisent. Pour toutes celles qui n'osent pas te le demander. Un cadeau d'avant Noël.



Je veux bien essayer, Justine, ma douce. Mais sais-tu bien ce que tu demandes?



Enfin, allons-y. J'ai aimé et j'ai été aimé. Il faudra que je parle au passé parce que je n'éprouve plus les choses comme avant, avec confiance et advienne-que-pourratisme, et l'innocence qui est de l'ignorance bienheureuse.



Quand le ciel juridique m'est tombé sur la tête, j'ai commis l'erreur de protester que j'aimais les femmes, et on m'a cruellement tourné en dérision pour cela. Or, le temps a passé et force m'est de reconnaître que je ne les aime plus autant qu'avant, en grande partie parce qu'elles s'aiment rarement elles-mêmes.



Mais bon, j'ai aimé, hein, faut pas croire. Aimé si douloureusement que l'émail de mes dents se fendillait comme un vitrail de cathédrale dans un tremblement de terre. Et puis légèrement, béat, en d'estivales orgies de chair joyeuse et aussi parfois l'hiver, engoncé avec elles dans la chaleur du foyer.



Celui que je cache, je n'en parlerai pas. C'est toi, celui que je cache! Et puis je suis un drôle d'écrivain, car j'ai appris très tôt à ne rien mettre par écrit des choses de l'amour. Plus homme qu'artiste, disons.



Celui dont je rêve trempe mon lit la nuit. À mon âge, c'est pas mal.
J'ai de drôles de cauchemars, qui sont aussi des rêves.



Il faut comprendre que K et moi jouissons de cette rarissime faculté d'ordinaire réservée aux vieux couples et aux jumeaux: pouvoir lire l'esprit de l'autre, le deviner, l'anticiper, le ressentir.



Or, j'onirise que ma bouche est scellée et que l'on me calfeutre et que Kevin comprend juste à travers mes yeux qu'il faut me tirer de là quoiqu'il advienne.



Comment Moïse et le buisson ardent communiquaient-ils vraiment? Cette chose suppliait-elle cet homme de l'extraire de sa condition?



5.12.02

Dormi dix-huit heures pour apaiser le nerf de ma molaire. Réveillé avec une plaie de lit. Can't get a break.

4.12.02

Signifié à Éric qu'il était temps de se lever et de marcher. De partir. Que le Saigneur me pardonne: je n'ai plus le gros coeur. Comme celui de Kevin, je veux dire. L'ai eu. Ne l'ai plus. S'est racoutillé comme peau de chagrin.
Doublevé (bouche) avalera-t-il l'Irak d'ici au jour de l'An?



CNN précise que les USA se réservent le droit de ne pas tenir compte de l'absence de preuves accablantes de weapons of mass destruction dans les chaussettes de Saddam: les USA détruiront tout en masse anyway.

3.12.02

Après que j'eus désinfecté le petit orteil d'Éric (irrité au sang par frottement, et ce grand bébé craint déjà la bactérie mangeuse de chair), puis appliqué un diachylon (emplâtre agglutinatif employé comme résolutif), il m'a aidé à procéder à la cérémonie de concoction du pâté chinois (épluchant douze patates et un oignon) que Kevin viendra dévorer avec nous vers vingt heures, sitôt sorti du focus group où il va gagner 35$ en pérorant sur les vices et vertus d'un nouveau jus (d'orange).
Écrire l'histoire d'un homme qui aime la littérature, la bière et la liberté.
Long lost week-end tordu comme un trombone. Temps de remettre le pied à l'étrier. Saut dans la douche. Sali le savon.



Comme chaque fois que j'interromps le Journal quelques jours, l'indice de fréquentation grimpe en flèche. La tribu s'inquiète. Moins j'écris, plus j'ai de lecteurs!



Éric récupère sur le divan, en pleine dépression post-party. Moi connaître. Par coeur.

29.11.02

Faites don de votre face! Des scientifiques britanniques croient pouvoir en arriver dans l'année à greffer des visages entiers, récoltés sur des cadavres et destinés aux grands brûlés. On va commencer avec des kids, car l'enfant ne se reconnaît lui-même qu'à partir de cinq ou six ans, et on soupçonne que les adultes éprouveraient des difficultés psychologiques d'adaptation insurmontables.



C'est, ce me semble, oublier facilement qu'en se brossant les dents, la plupart des gens découvrent déjà dans la glace une tête qui ne leur revient pas.

28.11.02

Dixit KV: «Je me suis battu, courbaturé et infligé la pénitence pour être capable d'exprimer tout ce qui était en-dedans de moi d'une façon qui me satisfasse!»



Et je repense à cette chanson de Stéphane Venne: «Non c'est pas fini, c'est rien qu'un début, mais c'est le plus beau des commencements...»

27.11.02

Crise du logement? Les administrateurs du building me demandent de collaborer calmement à mon éviction. Leur problème, c'est qu'aucun voisin n'est prêt à témoigner en ce sens. Et la lettre ne mentionne nulle part qu'on pourrait louer le Bunker cent dollars de plus à un nouvel occupant.



Kevin songe à interrompre ses études pour se mettre à son livre. Sentiments partagés.



26.11.02

Jour des idées désordonnées. Foule de flashes.



Observé les madames au Dollarama. Leurs sourcils dessinés au crayon, leurs lèvres minces comme des lames de katana, et leurs yeux, on dirait des meurtrières de château-fort.



La moitié de mes ex va aux Alcooliques Anonymes, l'autre s'affiche publiquement.



Sans nouvelles de mon fils depuis des mois. Je me fais l'effet d'un pathétique père Laloge attendant une lettre de son Bidou.



Échappé mon téléphone par terre. Communications kaputt.



Maxime faisait un petit poker chez des copains l'autre soir. Une fille survient, furieuse: «Toi, tu me dois 60$, toi 80, et toi 40!»



Une fois l'intruse évincée, Maxime réclame des explications. «C'est une pute, répond l'un des gars. Elle fait des pipes à crédit. Je lui ai dit de revenir le jour du chèque.»



Morale de cette histoire? Maudite bonne question...



25.11.02

La bonne nouvelle, c'est que je vais pouvoir me désintoxiquer de Snood, un jeu électronique addictif qui me bouffe tout mon temps de travail.



La mauvaise, c'est que K m'a montré Sim City.
Pas eu besoin de me mettre à l'aftershave: Kevin est venu boire sa paye avec moi.



Il me jouxtait quand j'ai ouvert un message de Mario, éventant du coup par accident la surprise que celui-ci préparait à K depuis des semaines, soit des étiquettes personnalisées pour les bouteilles de bagosse.



Un panache de fumée grise s'élève dans le lointain. Laval brûle-t-il?

23.11.02

Dîner réparateur chez maman. Au menu: salade aux gésiers de canard, cassoulet toulousain, canard rôti, Boursault et camembert, tarte aux cerises de ma soeur Annie et crème glacée au sucre d'érable. Sortant de table, grand-mère lance: «Ma fille, tu nous as préparé un repas quatre étoiles et demie!» Puis, accompagnant la confidence qu'elle me fait ensuite d'un clin d'oeil malicieux: «J'aurais bien dit cinq étoiles, mais faudrait pas qu'elle soit trop fière...»

22.11.02

Monté renouer contact avec CGDR. Quand il s'est mis à faire appel à mes souvenirs de l'Ostidcho, j'ai dû lui rappeler que je suis né en 1964. Son expression médusée valait le coup d'oeil.



Bon sang, je vieillis vite et mal.



Linda passe en coup de vent: m'apporte un plein tube d'Oragel extra fort. Et vlan! dans les dents.
Guillaume vient de remporter le prix Ringuet, et je me sens de plus en plus comme Howard Roark dans The Foutainhead. Ayn Rand, priez pour moi!



Jeudi dernier, émus, embarrassés, ravis, on s'est revus moi et Guigui, au salon Le Portage de l'hôtel de la Place Bonaventure. Échangeant d'inconséquentes niaiseries, fixant tous deux mes vieux souliers, qui ont déjà été les siens. En partant, il m'a laissé une poignée de Gauloises blondes. Kevin les a fumées.



Hier, tripé tranquille avec Drouin, qui se retrouve encore chez une fille et chez l'autre depuis que, s'étant mis à rêver du meurtre de son co-loc, il a jugé prudent de plier bagages. M'a demandé la permission d'entreposer une caisse de livres au Bunker. Compte retourner à l'étude de la botanique et payer ses cours en vendant des clones de poinsettia (!)



21.11.02

Vu à la télé, une institutrice expliquant ce que l'école s'efforce de faire pour éliminer le taxage: «On essaie de montrer aux jeunes que dénoncer, c'est pas stooler!»



Langue de pâte à modeler.



Question: en combien de générations transforme-t-on un peuple de coureurs de bois et d'habitants têtus en société de délateurs frileux faciles à gouverner?



Poulet simili-rôti, recette d'écrivain (paresseux, impécunieux, craignant le feu): étaler pilons et hauts-de-cuisses dans un plat allant au four, peau en l'air; badigeonner de ketchup (allez-y littéralement avec le dos de la cuiller); de façon facultative, saupoudrer de poudre d'ail et de paprika. Cuire une heure.

20.11.02

Uncle Sam

L'effondrement du WTC aura été l'incendie du Reichstag des États-uniens, le prétexte saisi par doublevé pour enfoncer quelques clous supplémentaires dans le cercueil des libertés même qu'on prétend préserver. La ratification du Homeland Security Bill résonne jusqu'ici dans un sonore et sépulcral éclat de marteau.



Cependant, en Irak, la décision d'Hussein d'autoriser le retour des inspecteurs de l'ONU a forcé doublevé à chercher autre chose qui justifie la guerre qu'il désire pour Noël. Dernière trouvaille: chaque fois qu'on les bombardera préventivement (en légitime défense) et qu'ils oseront se défendre, cela sera considéré comme une attaque.



La novlangue de caoutchouc dans toute sa souplesse. Le travail, c'est la liberté. L'attaque, c'est la défense. La défense, c'est l'attaque.
Jour fondant sur Mont-Royal. Allé vendre un livre de Yann Martel à Blackburn avec Kevin. Tombé sur Piazza, puis Linda Hébert. Glissant son bras sous le mien, comme si j'étais toujours son sigisbée: «Quelqu'un t'a-t-il dit qu'il t'aime aujourd'hui? Eh bien, je t'aime...»



Son père est finalement mort dans ses bras en juillet dernier. Le mois prochain, exécutant son ultime volonté, elle ramènera ses cendres aux Îles...
Justine se propose de «scruter le fond de mes yeux en quête d'absolu», arrivant presque à me faire croire qu'il s'y trouve parfois.



Kevin doit passer après son cours, m'apporter des nouvelles de la fermentation de la bagosse. En a embouteillé quinze litres.
Lassitude et dégoût passagers de toi-même. Si tu leur laisses un instant soupçonner ta faiblesse, ils se rueront à la curée. Ils se rueront à la curée. Ils se rueront à la curée.

19.11.02

Retour de la bibliothèque, où j'ai validé mon mot de passe pour un nouveau service utile. On peut désormais consulter son dossier d'emprunts actifs à partir de Gulliver, le catalogue électronique accessible depuis le Net. Et puis j'ai demandé au concierge de réparer mon siège de toilette.



En somme, une journée excitante comme une jaquette de flanelle.



18.11.02

Au printemps, j'ai vendu mon Nokia à Mario. Ce cellulaire étant mort de sa belle mort, je viens de lui refiler mon vieux Mitsubishi. Service après-vente en quelque sorte. Mais comment un type comme moi s'est-il jamais ramassé avec trois téléphones?



Ces dernières semaines, ébloui par la richesse des histoires qu'il me narrait à la lueur des chandelles, je pressais Kevin de les écrire sous forme de nouvelles. Mais ma présence rendait la chose difficile, et il fallait que je décolle pour qu'il s'y mette enfin. Ne vient-il pas de m'envoyer la première?



Certaines nuits, le paysage intérieur semble peint à traits sauvages et terrifiants comme une toile d'Edvard Munch, s'exprimant en aplats de couleurs crues. Certaines nuits grincent des dents.

17.11.02

VLB saute une réjouissante coche dans La Presse d'aujourd'hui: Éditeur sur le bord de la crise de nerfs.
Alors voilà, mon assignation à résidence a pris fin jeudi. J'ai briqué la cuisine des Catacombes et laissé une tarte au citron dans le frigo. Kevin adore la tarte au citron. Lui et moi, on s'est chargés comme des mules de toutes mes affaires (magnétoscope, ventilateur, Cheez Whiz, acétaminophène, oreillers, feutre mou, manuscrits, spaghetti, trousse de couture, nécessaire à tabac, et cetera) et j’ai quitté les Catacombes avec une pince à linge sur les ventricules.



Mario nous a rejoints au Bunker et on s’est rendus au Salon du livre de la Place Bonaventure.



Méandres labyrinthiques et dédales intimidants, crosse à l’entrée pour faire entrer trois gars avec une invitation pour deux. Tombé d’emblée sur Hélène Girard, flanquée de Marie-Sissi Labrèche, aussi jolie aussi gentille qu’un vieil ogre gras tel que moi puisse le souhaiter en émergeant de réclusion. M'a confié que j'étais son écrivain préféré. «C'est pas ce qui est écrit dans le Voir d'aujourd'hui! j'ai rétorqué. Il est écrit que c'est Ducharme...» Et elle: «Je leur ai dit que j'hésitais entre vous deux et ils ont choisi pour moi.» Alors là, tout s'explique.



Rencontré un caricaturiste, aussi, le grand gris rigolard, celui qui parle comme Christian-Gilles et pis comme Plume, avec des r roulés comme des joints et des a qui s’étirent d’ici jusqu’à la Sainte-Catherine, mais je crois qu’ils ont été élevés ensemble dans le même coin, ça fait que ça s’explique, anyway il était cool...



Déniché Nick Tremblay, l’épine dorsale d’XYZ, un étudiant du Lac au doctorat, c’est lui qui fait tout là-bas, jamais entendu dire qu’il ait dédaigné une affectation, bien au contraire, monter les boîtes et les descendre au début, lécher des timbres et adresser des enveloppes, faire la navette entre l’infographe et l’imprimeur et le Saint-Sulpice les soirs de lancement...



...Répondre aux appels des libraires de province en colère, puis aux journalistes de médias mineurs, puis appeler les pointures des majeurs parce que l’attachée de presse pétait les plombs et qu’on n’a pas le temps d’attendre qu’elle se soigne, remplir les commandes, composer avec les écrivains hystériques, leur déboucher une bouteille et les abreuver juste assez, les suivre à la trace avec un cendrier tout en gardant un oeil sur les clients pour s’assurer qu’ils passent à la caisse, distribuer des catalogues, tenir à jour dossiers de presses et listes d’envois, tout ça à mi-temps et donnant l’impression d’être partout à la fois sans que personne ne sache son nom parce qu’il cultive la discrétion. Qui, croyez-vous, pèsera lourd dans l’édition après-demain?



Bertrand Laverdure est venu me porter mes deux exemplaires de Moebius 95 (“La correspondance littéraire”). Failli ne pas le reconnaître. Polymorphe. Ferait un superbe espion. L’ai serré dans mes bras, mais je crois qu’il n’aime pas beaucoup ça. Too damn bad. Lui ai rendu la politesse en visitant le stand des éditions Triptyque. Rencontré deux jeunes auteurs, McComber et Daigneault. Offert une tournée de vin XYZ, y compris à Robert Giroux, le capo di tutti capi, qui ne recevrait ses bouteilles que samedi. Plus tard, Circius me demande ce que c’étaient que ces pantalons-là. Je réponds que ce sont des pantalons qu’on porte en début de carrière quand on n’a rien à perdre et tout à gagner à se faire remarquer ou que ce sont des pantalons qu’on porte une fois ses preuves faites, quand on n’en a rien à foutre et qu’on invite l’aventure avec un sourire décontracté. Est-il besoin de préciser que Giroux appartient à cette seconde catégorie?



Frank Piazza passe et, me glissant derrière lui, avec une voix de rocaille crissante, j’égrène: «François Piazza? Ils laissent vraiment entrer n’importe quoi!» Son sang ne fait qu’un tour tandis qu’il en exécute un demi: me reconnaissant, il se fend de ce chaud sourire dont il m’a toujours honoré, et nous nous tombons dans les bras. Frank n’a plus de larynx, et sa parole est modulée directement à la source, rythmée et alimentée par de puissantes respirations que son thorax de forgeron exprime comme d’un soufflet.



Ce Salon, je m’y perds, aussi quand il m’offre de me mener à Jacques Lanctôt, que je cherche depuis une heure, je le suis sans hésiter. Au retour, je m’égarerai à nouveau comme un enfant d’école et devrai demander mon chemin au stand de Boréal.



Ce que j’entends dire ces éditeurs m’indigne, ce que je les vois faire m’amuse. Ils se bitchent entre eux à grands renforts de voix et de vilenie, s’accusant dans leurs dos mutuels de toute la même liste de péchés, allant du maraudage (tentative de débaucher un écrivain) au trafic d’influence auprès des ministères en passant par le favoritisme sexuel, le pilonnage sauvage et le défaut de versement de droits d’auteur.



Quand ils se lassent de cet exercice, qui les sépare, ils s’assemblent pour diffamer leurs auteurs, et alors les vannes s’ouvrent: on croirait assister à un pow-wow de pêcheurs vers dix-huit heures dans un chalet perdu au fond des bois. C’est à qui racontera la plus saignante, la plus salée, la plus salissante histoire sur un gros nom, membre présent ou passé de l’écurie de celui qui pourfend. Personne, en principe, n’y croit, pas plus qu’aux histoires de pêche, mais dans les faits chacun prend mentalement note de ce qui s’échange, insécure au point de s’imaginer le seul menteur du groupe, et ces enfantillages honteux ont des conséquences graves dans l’année qui suit, conséquences aux sources anonymes et que nul ne soupçonne, pas même ceux, parfois, souvent, qui les subissent.



Cette année, pour ne pas dire hier, j’ai décidé de faire ma part afin que cela cesse. J’ai décidé de parler franc et d’enregistrer sur papier daté ma réaction aux rumeurs qui courent sur mon propre compte entre autant d’éditeurs à la sensibilité exacerbée.



À Robert Giroux, qui est venu me dire qu’il ne me sied guère de changer d’éditeur trop souvent, je répèterai ceci: «QUOI?»



Découvert par André Vanasse en 1988 alors qu’il assumait les fonctions de directeur littéraire chez Québec-Amérique, j’ai pris la loyale et courageuse décision de le suivre chez XYZ, troquant une maison riche pour une pauvre, un éditeur de romans réputé pour un éditeur de nouvelles en difficulté. Louis Hamelin en a fait autant, de même que Lise Tremblay. Or, après toutes ces années, je suis toujours chez XYZ. Les autres sont partis depuis longtemps. Le chant des sirènes boréales.



En ai-je entendu, des jérémiades vanassiennes sur l’ingratitude de ses auteurs, qui tous l’abandonnaient sans un soupçon de regret? Pourtant, c’est à peine s’il répond à mes lettres et jamais, durant toutes ces années, un article de fond sur mon oeuvre n’a paru dans sa revue Lettres Québécoises. Quant à mon rêve d’enfance de figurer un jour en couverture, il ne se réalisera pas, on me l’a bien fait comprendre. Question de subventions, paraît-il. Question de ne pas paraître avantager ses auteurs. Question, aussi, de me rabattre le caquet. Et puis que dirait-on d’un écrivain qui n’a pas fréquenté l’université? André, ça l’a toujours tracassé. Il était prêt à accepter le crédit pour m’avoir fabriqué, tout en espérant très fort qu’on ne lui demande jamais comment il s’y était pris.



Tandis que je le vantais sur la place publique, saisissant chaque occasion de bâtir son image de faiseur de miracles (l’avait-il, la cote, entre Louis et moi et la fille de Québec?), le déclarant sans ambages meilleur éditeur au pays parce que je calculais que ce prestige rejaillirait sur moi en fin de compte, lui, lui s’employait avec diligence à ne pas me faire traduire, ni publier en Europe, haussant les épaules et soupirant dans les cocktails durant mes incarcérations, l’air de dire: «Dommage, mais qu’y peut-on?», m’adjoignant des services de presse merdiques ou hostiles ou les deux à la fois et me défiant presque de réussir à surnager malgré tout ça, de justifier mon arrogance, de faire surgir un énième lapin de mon chapeau mou, et chaque fois je l’ai fait, et là il était, ramassant ses trophées.



André Vanasse a cessé d’être mon éditeur depuis longtemps. Il a juste négligé de m’en aviser.



Jacques Lanctôt chiâlait que je lui avais fait faux-bond.



QUOI?



À la fin de Valium, je remercie Lanctôt d’une façon sincère, sentie et qui n’a pas de précédent ni d’égale dans un roman.



Les détails, je me fais toujours une joie de les raconter à qui veut les entendre: comment il me soutenait moralement durant ma détention préventive à Bordeaux, m’apportant fric et chocolat, comment il me défendait après ma condamnation, publiquement, sur les ondes de la radio d’État, contre tous les gros tas et toutes les grosses tasses qui réclamaient mes couilles sur un plateau de télévision, n’hésitant pas à engager son nom et sa réputation, supportant que soit remué son propre passé si chèrement assumé!



Cela, cependant, n’a rien à voir avec la façon dont j’ai appris qu’il claquait la porte de VLB Éditeur. Par les journaux! Dans un hôtel de Limoilou, au mois de décembre! Et l’entrefilet de citer Jacques qui, dans la foulée de l’annonce qu’il comptait fonder une nouvelle maison, s’affirmait confiant que ses auteurs l’accompagneraient aveuglément dans l’aventure. Suivait une courte liste de noms-néon; y figuraient le mien et celui de Dany Laferrière, je ne me souviens pas des autres.



Vous me demandez si j’étais fâché? Fâché ne commence pas à décrire ce que j’éprouvais. J’avais beau comprendre, deviner que Jacques avait agi en étant soumis à de fortes et urgentes pressions, il n’en demeurait pas moins que mon nom figurait là sans qu’il m’ait consulté, lâché comme une marque de commerce, un élément dans sa stratégie de négociation qui dépendait du concours de la presse pour intimider Sogides, propriétaire de VLB.



Alors, lui faire faux-bond? Nul doute que je lui aie causé du chagrin en ne lui confiant pas Valium, mais c’était oublier trop commodément comment je traite les affaires relatives à mes livres, négociant âprement pour eux chaque misérable clause et récrivant les contrats dont ils font l’objet au scalpel trempé dans l’acide et le lait, afin de leur assurer le meilleur départ concevable dans la vie précaire d'un livre.



Oh, je l’aurais fait! Je le lui aurais confié bien volontiers. Si seulement il m’avait appelé. Consulté. Demandé mon appui. Je crois difficilement que Jack aurait effectué son coup d’éclat sans s’assurer au préalable du soutien de Dany, par exemple. Non, je ne lui ai pas fait faux-bond, et il devrait cesser de le prétendre.



Quant aux autres, fretin menu et profiteurs de haute volée, tous ces gauchistes de Salon qui s’appuient sur un bras droit pour garder la maison, je suis un brin trop fatigué pour en parler.

Déprime post-départ. Chez Kevin, étrangement, je ne sentais presque plus le poids de ma propre vie, j'étais en vacances de moi-même, il s'occupait de tout. Va me falloir quelques jours pour reprendre le train en marche.

14.11.02

Scientia est potentia, latin pour, grosso modo, le savoir, c'est le pouvoir. Il s'agit de la maxime latine inscrite en surplomb du bureau de l'amiral John Poindexter au Pentagone. Lequel supervise le projet Total Information Awareness, une banque de données centralisée sur chaque citoyen états-unien, combinant renseignements recueillis par les entreprises et informations colligées par le secteur public.



C'est dans ce monde-là que je retourne.
Voilà, ma peine est terminée, sans tombereau de trempette...



Hier, Mario s'est pris le bec avec une ancienne, ancienne maîtresse qui lui ménoposait des problèmes insolubles en lui toussant au visage, puis il s'en est venu ici, on a tous trois joué au Scrabble en s'accusant pour rire d'avoir une case en moins, et Kevin a poêlé une demi-tonne de filets de goberge. Au douzième coup de minuit, les gars voulaient me filmer en train d'émerger des Catacombes, mais j'ai préféré passer mon tour. No big deal, you know? Ça leur ferait trop plaisir.



Alors je rassemble tranquillement mes bagages. Plus tard, nous passerons au Bunker avant d'aller assister à l'ouverture du Salon du livre. Les mots me manqueront pour remercier Kevin. Heureusement, un demi suffira.

13.11.02

Quelques heures à tirer avant minuit. Un parfum de brandy flotte dans l'avenir immédiat.

12.11.02

Nuit de cauchemars familiers sur trame d'impasses et de culs-de-sac. Me réveillais, me relançais bravement dans le noir, me retrouvais au volant d'une camionnette privée de frein dans une cour bétonnée privée de sortie, dans une épicerie qui n'ouvrait jamais pour moi, dans un ventre incapable de m'expulser...
À cet instant précis, partout, à travers le monde entier, des dizaines de milliers de types reniflent leur slip pour déterminer s'il est temps d'en changer.

11.11.02

Jeudi, je fêterai mon émancipation en ne répondant pas au téléphone de toute la journée!



Quand au juste ai-je cessé de manger pour me nourrir et commencé de le faire pour me réconforter? Tout est oralité chez moi, faut toujours que j'aie un truc aux lèvres: mot, mégot, goulot, gigot...



Aujourd'hui, jour du souvenir. Il reste quinze poilus vivants au Canada, soixante-huit en France. Tous centenaires, tous traumatisés par ce conflit d'un autre âge qui en tranchant dans la jeunesse a défini leur vie. Hommage et coquelicot.

10.11.02

Kevin parti peinturer chez ses ashkénazes de Hampstead. Aurait dû commencer hier au coucher du soleil, mais son corps l'a trahi. Le patriarche va le suivre à la trace en lui suggérant des retouches, et la jeune femme lui adressera des sourires qui lui feront s'emmêler les pinceaux.



Je compte les heures avant la fin de ma sentence, me trompe, recommence.

9.11.02

En 1980, je prophétisais devant un auditoire d'amis incrédules que l'on verrait de notre vivant le déclin de l'empire McDonald's. Or, avec la fermeture de 175 restaurants dans dix pays, on peut certainement avancer que le zénith est derrière et le nadir en vue.



Par ailleurs, l'annonce du report de l'ouverture de la Grande Bibliothèque (de fin 2003 à fin 2004) me réjouit pour des motifs purement égoïstes, car la fermeture de la Centrale située près de chez moi ne m'arrange pas.

8.11.02

Les médias nationaux s'alarment: un gros tas de sans-abri dorment par terre. À l'intérieur! Du Refuge des jeunes, de la Maison du Père, du Old Brewery...



Certains sans-abri envisageraient même de coucher dehors pour protester contre cette intolérable situation! Hmmpf...



Me semble qu'on devrait plutôt parler de sans-ami. Ça fait trois mois que je couche sur le plancher et je suis diablement content que K m'aime.



Eux, ces pauvres âmes, leurs amis sont là-bas d'où ils viennent: les régions.



Ils ont dix-sept ans ou vingt-trois et Bigras se graisse la gueule à les réfugier au lieu de dénoncer la raison de leur exil: ces enfants (tous des gars) n'ont pas de famille. Élevés par des femmes qui ont évincé le père de leur vie parce que c'était ce qui se faisait à cette époque, ils errent comme autant de Mychkine prostitués, l'oeil hagard, la lèvre froide.

Idée de titre pour un roman style russe, genre: Dettes et déshonneur.
Ajouté un fichier sonore à la page Vocalises: Steve raconte une bonne et juteuse histoire.
Kevin bouche les trous dans le mur avec du plâtre. J'ai glissé le Voir d'hier sous la canisse de bagosse afin de préserver la levure du froid des tuiles. Ma journée est faite.

7.11.02

Yann Martel est dans la soupe depuis que le New York Times a fait état des similarités troublantes entre Life of Pi et Max and the Cats, un roman du brésilien Moacyr Scliar. Réaction de Vanasse, son éditeur québécois (aussitôt que ses parents auront complété la traduction française): «Est-ce qu'on va accuser Yann Martel d'avoir plagié la Bible parce qu'un homme est dans une barque avec des animaux et que ça ressemble au déluge?» Sacré André.
Si tout se passe comme je le vois, ce n'est pas une préface que K rédigera, mais deux, voire trois.



Une maintenant, les suivantes au fil des ans...



Lui sera vieux, moi mort, mais c'est alors qu'on verra bien ce qu'on verra! N'avais-je pas raison, K, d'avoir tort?



Je t'agace. Je veux juste gagner une fois dans ma vie à Pile ou Face.
CBS intente une poursuite contre ABC. Motif: violation de copyright. Objet: Survivor, un de ces Reality Shows dont on craignait tant l'an dernier qu'ils supplantent la fiction. CBS fait valoir ses droits d'auteur sur la réalité telle qu'imitée par ABC dans son show de l'été prochain. Alors ou bien on peut breveter le vrai, ou alors c'est du faux et on nous ment en le présentant comme du vrai, auquel cas cela demeure brevetable mais sujet à procès pour fausse représentation. FAUSSE REPRÉSENTATION, une production Christian Mistral, sur un écran près de chez vous.

6.11.02

Des gens intelligents qui m'aiment surveillent mes arrières. I shalt not fear.
Hier, une visite et deux appels.



La confiance règne chez les carcérologues. J'imagine tous ces diplômés malaxant les statistiques et calculant les probabilités qu'un condamné sursitaire sorte de chez lui après cinq jours, dix-huit, quarante-deux. Qu'il se sente libre après un premier appel à quatre heures et demie et se fasse ramasser dans un bar vers les vingt heures douze. Comme cela doit les faire chier de me trouver, toujours, bien au chaud dans le profond des Catacombes. Fidèle à l'appel.



Kevin vient de mixer une canisse de bagosse. Sera prête pour les Fêtes. A utilisé un seau d'huile végétale de seize litres récupéré parmi les vidanges des voisins. Quand je songe à toutes les fois où leur cuisine a offensé ses narines, je trouve ça d'une ironie suave. Après l'avoir désinfecté, il a garroché là-dedans deux kilos de sucre blanc, un kilo de cassonade, un demi-litre de sirop de maïs, des cataractes d'eau chaude, six sachets de levure, quatre trognons de pomme et de grands coups de cuiller de bois. Une recette d'Halloween pour Noël.



Sitôt après, on s'est assis autour de ce chaudron improvisé, moi et le sorcier; on a regardé s'agglutiner les bactéries revenant à la vie comme autant de spermatozoïdes spectraux et tout cela se précipitait vers le centre ainsi qu'en un Big Bang géniteur de galaxie.



«Écoute! qu'il soupire, le nez dans la chaudière. Ça pétille! Ça chante! Ça vit!»

5.11.02

Extrait de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand (merci à Daniel Marotte):



De Guiche vient de proposer à Cyrano de soumettre ses oeuvres au puissant Richelieu, qui en "corrigera seulement quelques vers". Cyrano se rembrunit. De Guiche lui reproche sa fierté.



DE GUICHE

Vous êtes fier.



CYRANO

Vraiment, vous l'avez remarqué ?

Et que faudrait-il faire ?

Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,

Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc

Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,

Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?

Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,

Des vers aux financiers ? se changer en bouffon

Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,

Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?

Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?

Avoir un ventre usé par la marche ? une peau

Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?

Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...

Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou

Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,

Et donneur de séné par désir de rhubarbe,

Avoir un encensoir, toujours, dans quelque barbe ?

Non, merci ! Se pousser de giron en giron,

Devenir un petit grand homme dans un rond,

Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,

Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?

Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy

Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !

S'aller faire nommer pape par les conciles

Que dans les cabarets tiennent des imbéciles ?

Non, merci ! Travailler à se construire un nom

Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,

Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?

Etre terrorisé par de vagues gazettes,

Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois

Dans les petits papiers du Mercure François ?"...

Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,

Préférer faire une visite qu'un poème,

Rédiger des placets, se faire présenter ?

Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter,

Rêver, rire, passer, être seul, être libre,

Avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre,

Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,

Pour un oui, pour un non, se battre, -ou faire un vers !

Travailler sans souci de gloire ou de fortune,

A tel voyage, auquel on pense, dans la lune !

N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît,

Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,

Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,

Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !

Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,

Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,

Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,

Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,

Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,

Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
Un lecteur veut savoir ce que je pense de l'aisance avec laquelle on peut se procurer gratuitement des chansons sur Internet (en particulier les miennes!)



Réponse: je pirate à tour de bras. Je fauche, détourne, kidnappe et vole, j'emprunte et je m'approprie sans l'ombre du sourcil d'un cas de conscience toutes les tounes qui me font envie. Quant aux miennes, mes chèques de droits d'auteur n'ont pas diminué, tout au contraire, et si les gens piquent ma musique, c'est qu'elle est déjà très populaire. L'industrie du disque est une honteuse salope qui vous vend vingt fois trop cher quatorze chansons dont vous n'avez rien à branler autour d'une seule qui vous allume. Pourquoi ne pourriez-vous acheter seulement l'équivalent de nos anciens 45 tours, comme le plus clair de toute l'Europe le fait déjà?
Hier, Steve est venu faire son tour et Kevin a mitonné cette fondue savoyarde qu'il promettait depuis deux bourses. Ça valait le coup d'attendre. Je n'ai malheureusement pas le droit de dire ce qu'elle contenait, car certains ingrédients me sont interdits. On a aussi fait des prises de vue avec la caméra de Catherine. En soirée, on s'est regardé un film starring Crowe et Pacino. Je jouais avec mon nouvel anneau en essayant d'imaginer celui qui l'a originellement porté, un légionnaire ou un boucher romain, quelqu'un avec du sang sur les mains, une femme et des enfants, une mère et une mort et l'humain désarroi de disparaître.



Kevin boit de mieux en mieux, scientifique et sérieux, avec la sérénité que confère le libre-abitre. Prend juste ce qu'il lui faut. S'endort sans crainte. S'éveille joyeux. Dompte le feu de l'homme.
Aujourd'hui, si la tendance se maintient, ce Journal-Toile va franchir le cap des dix mille visiteurs. Get a life, people!
Ma poésie me pose problème. Encore. Des années après en avoir divorcé, elle me harcèle et réclame toujours une sorte de pension alimentaire, malgré la laideur des enfants que je lui ai faits, ou peut-être est-ce à cause de cela, car il est vrai que je promettais beaucoup...



Poésie, premières amours. Je la concevais avec un siècle de retard dans un simili-pays qui engendrait des poètes par centaines, tous plus hippies les uns que les autres, avant de se faire couper les tifs et d'aller enseigner leur truc et le publier et le lire entre eux. Puis, j'ai fondu mes "mauvais" poèmes en une prose lyrique incandescente et on m'a célébré sans relever l'imposture, car me dénoncer aurait été se pointer eux-mêmes du doigt. Quand j'ai connu Franz-Emmanuël Schürch, il avait dix-neuf ans et sa poésie ressemblait fort à ce que la mienne aurait dû être si elle m'avait obéi, aussi j'ai renoncé d'un coeur léger au travail du poème, confiant que Franz s'en chargerait et que ça resterait dans la famille. Cela ne s'est pas concrétisé. Mon fils, plus tard, m'a fait miroiter de riches possibilités. Sa plume annonçait une hallucinante marchandise qui ne fut, ni ne sera, vraisemblablement jamais livrée. Il y a maintenant Kevin, qui fait face au même lot de difficultés: comment être poète hors des normes poétiques?



Un ami, directeur littéraire, m'adresse ces quelques mots qui me causent un certain souci: «Si je peux me permettre une confidence un peu rude, cher Christian, j'ai tout lu ton oeuvre de prose que je considère comme importante et fort bien écrite (je suis un fana de ton journal et j'ai eu de beaux moments d'émotion en y lisant mon nom à deux reprises). Par ailleurs, j'ai quelques doutes quant à ta poésie. Je voulais te signaler mes propres préjugés avant que tu ne te décides à nous faire parvenir tes oeuvres. Parce que je sais que ton nom seul est un gage symbolique assez fort pour publier tout ce que tu peux soumettre à un éditeur. Mais je t'invite tout de même, ne connaissant rien de ton dernier opus, chaleureusement, à nous soumettre ton recueil. Es-tu ouvert au peaufinement et au travail pré-éditorial? Je compte sur ton ouverture d'esprit et ton professionnalisme littéraire."



Ceux qui ne connaissent l'édition que de l'extérieur ignorent à quel point ces propos sont rares, donc précieux. Pour tout dire, personne ne m'a parlé comme ça depuis 1988. Est-ce que ça me fait plaisir? Non. Ça me heurte et ça me trouble. Je le prends pour ce que c'est, cependant: l'opinion franche d'un honnête homme qui s'adresse amicalement à un autre honnête homme, pas à un symbole, pas à une image.



Suis-je ouvert au peaufinage? Non. Au travail pré-éditorial? Foutre non. Cela ternit-il mon professionnalisme littéraire? Tout dépend de ce que l'on entend par là. Non, je ne suis pas un professionnel du poème et ne compte pas le devenir. J'aurais pu, bien entendu, par la vertu de mon nom seul, ce gage symbolique. Mais je crois que la poésie professionnelle a perdu son chemin, qui est celui du coeur des hommes. Je crois que mes poèmes devraient être publiés tels quels, verrues et tout, comme partie intégrante de mon oeuvre, celle d'un (p)artisan sérieux, engagé, dérisoire et lumineux. Je n'ai jamais voulu publier au prix de ma personnalité. Mes lecteurs le savent et l'apprécient, c'est même pourquoi ils sont mes lecteurs. Ce gage symbolique que représente ma signature ne m'est pas tombé du ciel, il est fondé sur du vrai, du solide et du tendre, il est assis sur de l'historique en béton armé. Irais-je leur donner à lire, à ces gens qui m'aiment, m'aimeront, qui me font, qui me feront confiance, des vers peaufinés par un autre avant qu'on ne les soumette à un travail pré-éditorial? Faire cela serait engager ce gage symbolique, le mettre au clou, sans espoir de le récupérer jamais; or, j'ai tout porté au pawn shop dans ma vie, sauf mon art.



N'empêche, mieux vaut se faire opposer un refus par un ami, et avec cette élégance. J'ai presque rien senti.



L'Amériq regorge de ressources.

4.11.02

Cette année, Kevin s'est surpassé. À mon dernier anniversaire, il m'avait offert deux pièces de monnaie millénaires frappées à l'effigie de l'empereur Constance II. Voilà qu'il m'arrive avec un anneau de bronze romain, probablement un anneau de citoyen, découvert lors de fouilles archéologiques en Bulgarie, anciennemment la Thrace. Je le passe à mon doigt avec beaucoup d'émotion. L'histoire, coulée et martelée dans ma main droite. L'amitié infrangible et circulaire. La perennité de l'airain.
Hier, passé l'après-midi avec Mario Lemoine à jouer au Scrabble, et la soirée à écouter des vieux disques en chiâlant.



Ce matin, deuxième neige. Moins drôle. Cependant, à Paris, Guillaume vient de remporter le prix France-Québec.

3.11.02

Justine a débarqué avec des croissants et du jus d'orange, du café frais moulu, du fromage et du beurre salé. Déjeûner me rend redoutable. J'irais défricher un bout de forêt si j'avais le droit de sortir.

2.11.02

Ce soir, Annie me fait le soyeux cadeau de se dénuder un peu, oh! juste un tout petit peu, pour moi, mes yeux, sur le confessionnal cathodique. Quand elle n'est pas occupée à suggérer que je suis une sorte d'assassin, elle écrit de très belles et très pertinentes choses sur le genre si particulier du journal.



Ce que serait cette créature si on ne l'avait trop tôt meurtrie, je n'ose me le représenter, de peur de retomber en amour avec ce qu'elle sait parfois être.



Je vais dormir, bordel de Dieu. Seul et serein. For he's a jolly good fellow, for he's a jolly good fellow...
turcotte.jpg

Quelqu'un peut-il me murmurer à l'oreille le nom de l'enfant de salaud schizo-castrat qui a choisi d'illustrer la une du dernier Voir avec cette épouvantable photo d'une femme superbe? Déja que ce canard snobinard dégueulasse ne se laisse plus lire qu'avec des gants de caoutchouc, faut-il encore qu'on déconcrisse le lisse et doux visage d'Élise Turcotte?



Tshi, le photographe, on croirait un Chinois mais ce n'est qu'un Français, j'ai eu à faire à lui déjà, il te balance une vieille Hasselblad rescapée de la guerre de Corée sous le nez puis il se met à te pomper d'un ton égal et cauteleux: «Précipite ton visage vers l'objectif! Écarquille les yeux, donne du menton! C'est bon, c'est bon!» Il a même un carré de scotch blanc collé au bord de la lentille, à l'endroit précis où il souhaite que l'on louche. J'ai posé pour des mug shots plus sympathiques que les clichés de ce sinistre kid kodak.



Qu'on fiche la paix aux réfugiés algériens et qu'on envoie Tshi faire du bertillonnage à Fleury-Mérogis.



Voir. Cet infect gang de babas débiles fout la nausée à toute la ville depuis bien trop longtemps avec la feuille de chou pourri qu'ils nous excrètent chaque jeudi après-midi. Si seulement les annonceurs réalisaient que les chiffres de distribution sont aussi gonflés que la rédaction!



Fucking piece of crap. Wouldn't wipe my dog's ass with the stinking rag.
J'aurai trente-huit ans à minuit.



Jamais je n'ai été si fort, si la force est tranquille et consciente de son inanité.



Mais si la force est appétît et joie des jarrets jeunes, alors je n'ai jamais été si faible.



Trente-huit ans, impatient sans passion, sédentaire édenté, grand poète raté, père absent payant pour maintenant, bon amant de l'ancien temps, tour à tour écrivain et brillant mais si peu simultanément, et je m'ennuie de ma maman comme à chacun de mes inexorables anniversaires.
Durer vingt ans, durer vingt ans... L'INSCRIPTION ARAMÉENNE (Jacques fils de Joseph frère de Jésus, traduction libre) SUR L'OSSUAIRE (coffre en pierre à chaux couleur sable) DONT LA DÉCOUVERTE EN ISRAËL FUT ANNONCÉE LE MOIS DERNIER, elle a duré deux mille putains d'années sans que personne ne la lise ni ne s'avise d'un quelconque intérêt. Hier, lors de son déplacement vers un musée de Toronto, la relique a craqué de partout, au point qu'on propose en rougissant d'en combler les fêlures avec une sorte de plastic limestone pigmenté, cependant qu'on blâme impacts et vibrations attribuables aux aléas inévitables d'un tel transport, et cependant que les Églises se mobilisent pour discréditer cette bouleversante trouvaille, et cependant que les actuaires font des heures supplémentaires et tout ce temps je m'interroge sur tes questions, KV: qui sait ce que durera l'écrit, et qui sait où se situe la substance de l'écrit, depuis la pensée jusqu'à son expression, et de celle-ci à l'impression produite dans l'esprit du lecteur, et de là par sa bouche de conteur jusqu'aux ouïes de ses petits-enfants? Que vaut un mot qu'on ne voudra pas lire ou qu'on incomprendra ou dont on cassera ce sur quoi il est gravé?



Impacts. Vibrations. Transports. Ya'akov bar Yosef akhui di Yeshua...
Toujours, à chaque instant me rappeler que l'on envisage différemment l'histoire, celle du monde et la sienne propre, selon qu'on est ici et maintenant ou autrefois là-bas, quand elle paraissait une possibilité fraîche et riche, non encore mise à l'épreuve, une traversée à venir dénuée de précédent, un sol en friche, un vertueux péché de jeunesse en micro-jupe d'organdi et gants de peau et rien d'autre.
Kevin, candide, m'informe qu'il compte fonder sa préface sur l'ignorance et l'inquiétude. Goutte de glace le long de mon dos large. Inquiétude que ce livre ne tienne pas le coup vingt ans, ce qui revient à ne pas se trouver suffisamment intéressant. Ignorance de mes livres précédents: il se refuse à lire de moi autre chose que Vautour, et doute cependant à voix haute que Vacuum s'encadre élégamment dans le cycle VV. Je me fâche: Tu ne vas tout de même pas me pondre un de ces travaux de bachelier finement et vitement torchés pour la note? Je te l'ai demandé à toi parce que tu sais des choses de moi que nul autre ne soupçonne. Mais si tu n'as rien compris autrement que de travers, s'il t'est impossible de concevoir que ton meilleur ami puisse être cet écrivain dont on discute et que je sois lui et qu'il soit celui qui écrit ceci, alors c'est que tu voles trop à ras de terre pour jamais t'abstraire de cette pesanteur qui t'effraie.



Arrache-toi! Pense de façon souple, sérieuse et scandaleuse! Exécute la dernière ascension, grimpe la dernière marche, pose un acte de foi, garroche-toi dans l'éther!



Si ce n'est toi, un autre finira fatalement par le faire.
Ma tribu bénéficie de moi, et moi d'elle. Un homme n'est rien sans une tribu, sinon un homme, mais rien de plus...



Hier, je me suis payé la traite.



J'ai beau conserver un appartement sur le Plateau, il n'empêche que je ne jouis plus du privilège de l'approcher à moins de 100 mètres, d'ici au 14 novembre, si bien qu'à toutes fins utiles, je me suis retrouvé en sortant de la Caisse avec une envie de chier jupitérienne et nulle part où la satisfaire dans la légalité. Christian Mistral réduit à ça: sans endroit pour chier sur le Plateau. Au PFK, fallait des clés. J'ai donc arpenté Papineau, pressé, pathétique et callipyge par la force des choses, jusqu'à ce que l'épiphanie me frappe de plein fouet: Perrazino! Paul Perazzino, mon barbier! Je suis entré dans son échope et j'ai demandé si je pouvais utiliser sa toilette, attendu que je me ferais raser de près, après...



O, Paolo! Tu rases comme au temps de Capone; la mousse menthol brûle et la serviette est chaude avant la froide, et ta main tient ce rasoir à main avec la ferme et douce décision d'un père. Tu aurais voulu que je te laisse me couper les cheveux, mais je les garde pour la durée de l'hiver. Sois donc patient, car au printemps j'irai suant sacrifier ma samsonerie sur ton plancher de formica.

1.11.02

Spider-man

Chouette journée. Première neige paresseuse, flosculeuse, enfantine. Descendu chercher du fric en ville avec Kevin. Tandis que je faisais la queue à la Caisse, il m'attendait dehors sur un banc du Parc Lafontaine et une mitraille de grêle lui a chatouillé la citrouille.



La case postale du Bunker débordait d'invitations à de capiteux partys littéraires auxquels je ne pourrai assister. Toute la fichue saison d'automne me passe sous le nez. Tous ces vins de ruelle et tous ces faux sourires, ce meilleur et ce pire qu'on soupire dans nos dos mutuels, ce nettoyage des os qui tant nous occupe ailleurs, écrivains ! Tout ça me manquera, tout cela me revient. Devrais les envoyer au voisin, ces cartons chic, qu'il en profite au moins...



Loué Spider-Man. Éric Drouin vient d'arriver les mains pleines.
Guère le choix de solliciter à nouveau l'autorisation de sortir. Chèque à changer, air à respirer, ville à fouler.